LES FLEURS DU SOUVENIR
Ce texte de Marius KARMO a remporté le Concours de Nouvelles autour de Marcel PAGNOL organisé par la ville d'Aubagne. Le thème, choisi par Daniel PICOULY, était : « Marcel PAGNOL est vivant, il habite près de chez moi, je l’ai rencontré … »
C’était une salsepareille ! Un petit arbrisseau avec une tige épineuse et des feuilles en forme de cœur ! C’est du moins ce qu’indiquait mon livret botanique ! Un livret dont la photo ressemblait vaguement à l’arbrisseau qui se tenait devant moi sur ce sentier du Garlaban !
Une voix me sortit soudain de ma torpeur !
- C’est bien moi sur la photo… Je suis photogénique, tu ne trouves pas ?...
L’arbrisseau me parlait !... Une de ses jolies grappes rouges s’adressait à moi !
Sans doute, à 20 ans, eussè-je pris mes jambes à mon cou sans demander mon reste !
Mais il arrive toujours un âge où l’on ne s’étonne plus de rien ! La voix reprit…
- Comment vas-tu, fada ?
- Très bien merci ! Mais pourquoi m'appelez-vous fada ?
- Parce que seuls les fadas peuvent entendre une fleur du souvenir ! Ne te vexe pas pour autant ! Fada signifie en provençal “touché par les fées”, c’est plutôt flatteur ! Voilà, j’aimerais faire un brin de causette avec toi !
- Mais qui êtes-vous donc ?
- Je suis… Je suis un écrivain cinéaste qui a tourné de nombreux films sur cette colline !
- Ah, ah ! Veux tu me faire croire, misérable arbrisseau, que tu es la réincarnation du grand, de l’illustre Marcel Pagnol !
- Je ne suis pas une réincarnation, l’ami… Je suis Marcel Pagnol !
- Oui, bien sûr ! Et moi je suis Raimu !
- Jules, je le connais très bien et je sais que ce n’est pas toi !
Lui est un peu plus loin, dans le vallon ! Je l’entends rouspéter, là ! Il a trop chaud !
Ah, ah ! Tout à l’heure, il avait trop froid !...
J’avais une très bonne connaissance de tout ce qui se rattachait à Pagnol… J’avais lu la plupart de ses œuvres une dizaine de fois, vu tous ses films… Je décidai mordicus de confondre celui en qui je voyais un vil imposteur !
- Si tu es le grand Marcel, arbrisseau, tu dois savoir quel comédien jouait Escartefigue dans la trilogie ?
- C’était Paul Dullac mais seulement dans Marius et César ! Dans Fanny, il était malade et je l’avais remplacé par Auguste Mouriès !
- Et qui jouait le chauffeur du ferry boat ?
- C’était le petit Maupi ! Le pote à Jules ! Mais seulement dans Fanny et César, cette fois !
Le bougre évitait tous mes pièges ! Je revins donc le jour d’après ! Et le jour d’après encore ! En fait, je pris l’habitude de venir tous les jours et j’acquis bientôt la conviction que mon interlocuteur était bien celui qu’il prétendait être, l’enchanteur de mes lectures, le grand Pagnol !... Qui d’autre aurait pu avoir cet humour et cette tendresse toute méridionale ? Qui d’autre aurait pu faire preuve de tant de truculence et de sensibilité ?
Je vivais un rêve ! J’avais tellement eu plaisir à le lire et à le relire ! Voilà que j’avais encore plus de plaisir à l’entendre ! Il me parlait de ses joies, de ses peines, de ses espoirs, de ses regrets, de ses tournages, de ses amis, de ses amours...
Et puis vient la cigarette… Le mégot qu’un abruti d’automobiliste jeta de sa portière, sur la route en contrebas ! Il alluma toute la colline en moins d’une heure et brûla tout le Garlaban en une nuit ! Au matin, quand l’incendie fut enfin circonscrit, je découvris un spectacle de désolation ! Tout était calciné et au milieu du sentier, il n’y avait plus la moindre trace de Monsieur Marcel !
Quand la flore fut de retour, je ne cessais d’arpenter les garrigues d’Aubagne… Parlant aux lavatères, aux narcisses, aux lilas d’Espagne et à tant d’autres encore ! N’avaient-ils pas eu connaissance d’une fleur nouvelle qui raconterait de magnifiques histoires… D’un arbrisseau qui évoquerait ses souvenirs d’enfance ! Ou simplement d’un arbre auprès duquel on vivrait heureux comme dirait tonton Georges ! Un chêne vert ou un pin d’Alep… Mais il y avait tellement de sentiers…
Neuf années passèrent et j’étais sur le point d’abandonner mes recherches quand au détour d’un vallon, une voix m’apostropha ! Celle d’une minuscule marguerite !
- Fait chaud, hein !
- Marcel ?...
- Ah, non, moi c’est Jules !
- Jules ?... Jules Raimu ?...
- Non ! Jules César !...
- Jules César ?...
- Et non ! Tronche d’aï ! C’est moi, Jules Muraire de Toulon, dit Raimu !
- Monsieur Raimu… Je vous aimais beaucoup !...
- Vous m’en voyez ravi, Môssieur le randonneur ! Mais si vous pouviez éviter, vous et vos congénères, de toujours me confiner dans le passé comme si j’étais mort !
- Mes congénères ?
- Oui, tous ceux qui peuvent nous entendre ! Les simplets, les fadas, les schpountzs, quoi ! Les ravis de la crèche, comme on dit !
- C’est qu’on vous a enterré, Monsieur Jules ! Et j’ai toujours eu la naïveté de croire qu’une personne enterrée était morte !
- C’est le cas pour certains pauvres bougres partis sans que quiconque ne les regrette ! Mais la plupart des gens laissent des proches, des amis qui les pleurent ! Apprenez, Môssieur le promeneur, que chaque larme versée fait pousser une fleur quelque part sur la terre ! Ces fleurs, on les appelle les fleurs du souvenir ! À travers elles, le prétendu décédé continue de vivre ! Certains ont une dizaine de fleurs du souvenir… D’autres en ont des centaines, des milliers, des millions !... Ce n’est que lorsqu’il n’y a plus sur terre un seul individu pour vous aimer que l’on meurt !
- Vous êtes donc bien vivant, monsieur Jules ! Et Monsieur Marcel aussi !...
- Ce qui m’ennuie un peu, c’est qu’il l’est un peu plus que moi, le Marcel !
J’ai laissé beaucoup d’amour sur terre ! Mais lui en a laissé bien davantage ! À la manille, à la pétanque, c’était pareil ! Il fallait qu’il soit toujours devant moi, Marcel ! Si vous le cherchez, il est à cent mètres d’ici ! Près des pierres en granit ! Passez par le champ !... Et tâchez de ne pas écraser la petite Fanny !...
Après un merci tonitruant et en prenant bien garde de ne pas marcher sur la moindre fleur, je courus à perdre haleine et arrivai sur un massif d’anémones dorées… Elles étaient magnifiques et rayonnaient au milieu du vallon ! Elles étaient Lui !...
- Monsieur Marcel, je vous ai tant cherché ! Je vous ai cent fois parlé au cimetière de La Treille ! Vous ne m’avez jamais répondu !
- Au cimetière ? Je n’y suis jamais ! Toutes ces fleurs coupées ! Ca me déprime !
Content de te revoir, l’ami !
Et voilà comment je pus de nouveau m’abreuver avec délectation aux mots des collines ! Des mots limpides et rafraîchissants, mâtinés de tendresse et colorés d’humanisme !...
J’emprunte chaque jour le sentier des scolopendres… Certains parlent à l’oreille des chevaux, moi je parle aux fleurs du souvenir ! Il m’importe peu que l'on me traite de fada, je suis touché par les fées et j’ai un secret… Marcel Pagnol est vivant, il habite près de chez moi et je l’ai rencontré !…
Sur le Garlaban ! Mais il est aussi sur l’Atlas, sur le Grand Canyon et sur le mont Tai !
Il est partout où de l’amour lui est donné !
Partout où poussent les fleurs du souvenir !...
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Marius KARMO est l'auteur de la pièce L'EPICIER DE CORNEDIOU.
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